Equilibrium :
le Kata du tir et autres chorégraphies martiales

 

 

 

 

 

 

Dans un futur proche, après la 3ème Guerre Mondiale, un pays indéterminé s’est organisé sous la forme d’un Etat totalitaire, baptisé Libria. La stabilité de ce système extrême repose sur l’assujettissement de la population à la prise régulière d’une drogue, le Prozium. Ce faisant, tous les citoyens de Libria cessent de ressentir des émotions. Certes, les guerres et autres formes de violence ont disparu. Mais les Libriens sont également privés de tous ces sentiments inhérents à la nature humaine. Certaines personnes n’hésitent alors pas à braver l’interdit et cessent de prendre leurs pilules. Mais ils sont traqués par les membres d’une milice d’élite : les Recteurs Grammaton. L’un d’eux, par accident, néglige de prendre son Prozium. Il découvre alors l’envers du décor, les sentiments humains qu’il n’a jamais expérimenté mais qu’il a combattus toute sa vie.

 

Equilibrium est un film de science-fiction situé à la confluence de 1984, Fahrenheit 451 et Bienvenue à Gattaca. Sorti sur les écrans français cet été dans une indifférence quasi-générale, ce long-métrage vaut mieux que son statut de bonne série B auquel une large partie de la presse l’a cantonné.

 

Sur une idée qui semble avoir déjà été traitée maintes fois au cinéma, le réalisateur-scénariste Kurt Wimmer élabore son univers dans un souci du moindre détail. Equilibrium est ainsi parsemé de nombreux éléments qui, mis bout à bout, font tout le charme de ce film tourné pour 20 millions de $ mais qui semble en avoir coûté trois fois plus.

 

L’un de ces fragments particulièrement savoureux est la place et la forme conférées par Wimmer aux arts martiaux pratiqués par les Recteurs Grammaton. Cet aspect du film a été confié à l’américain Jim Vickers, coordinateur de cascades et professeur de karaté, 4ème dan. On lui doit ainsi la création de chorégraphies martiales dans des styles très rarement vus dans le cinéma américain.

 

Tout d’abord, Wimmer et Vickers mettent l’accent sur le sabre japonais. Dans un premier temps, on suit un entraînement du Recteur Preston (Christian Bale) dans ce qui s’apparente à un kata de kendo. Survient alors le Recteur Brandt (Taye Diggs) qui croise brillamment le shinaï avec son aîné.

 

 

 

Puis, à la fin du film, c’est à un remarquable combat de kenjitsu que l’on assiste entre le Recteur Preston renégat et une dizaine de miliciens. L’avancée de Preston vers le Big Boss se poursuit par un face-à-face étonnant avec Brandt. Au vu de leur précédente joute de kendo, on s’attend à un duel mémorable au katana. En fait, en une parfaite technique de iaï-jitsu, Preston dégaine son sabre et tranche son adversaire en une fraction de seconde. Brandt tombe à genoux puis s’écroule.

 

 

 

Cette victoire expéditive fait référence à Sanjuro, l’incontournable chambarra (film de sabre japonais) de KUROSAWA Akira, avec MIFUNE Toshiro dans le rôle-titre. Le duel final, que le spectateur s’imagine à l’avance comme titanesque, se résume à un mouvement unique et foudroyant du sabre[1]. Le sang surgit de la veine tranchée dans un effet gore renforcé par la stupéfaction[2].

 

 

 

Mais ce qui finit de faire passer Equilibrium à la postérité, c’est le kata du tir ou gun kata. Imaginé par Kurt Wimmer et chorégraphié par Jim Vickers, ce concept inédit au cinéma avait certes germé dans l’esprit d’autres créateurs[3]. Mais il est ici concrétisé de manière particulièrement impressionnante.

 

Le haut responsable des Recteurs explique ainsi la finalité du kata du tir : « Après analyse de milliers de combats à l’arme à feu, les Recteurs ont déterminé que la distribution géométrique des antagonistes dans n’importe quel combat était statistiquement prévisible à chaque fois. Le kata du tir identifie l’attaquant comme une arme totale. Chaque nouvelle position représente une nouvelle zone de neutralisation maximum, infligeant un maximum de blessures à un maximum d’adversaires, tout en permettant au défenseur d’éviter les trajectoires statistiquement traditionnelles de riposte. La maîtrise instinctive de cet art vous permettra d’augmenter votre puissance de tir d’au moins 120 %. »

 


Tandis qu’à l’arrière plan, des élèves Recteurs exécutent ledit kata à main nue ; toutefois, la position des mains évoque des armes à feu.

 

 

 

En parallèle, on aperçoit sur l’écran d’un ordinateur portable une mise en image des Bunkaï du kata :

 

 

 

 

 

 

 

Cette scène, outre qu’elle permet de comprendre une impressionnante fusillade dans le noir au tout début du film, prépare le spectateur à quatre scènes de gunfight d’anthologie, renvoyant les élucubrations esthétisantes de John Woo au rayon des flagrants irréalismes.

 

Parmi ces séquences mémorables, j’ai choisi de n’en illustrer qu’une seule, pour sa plus grande analogie avec le karaté. Le dernier combat du film oppose Preston au chef suprême des Recteurs, un pistolet automatique dans chaque main. Le duel consiste en une longue série de blocages successifs dans laquelle chaque combattant doit éviter non pas les poings mais les bastos de son adversaire.

 

Jodan shuto uke :

 

 

Jodan morote uchi uke :

 

 

Gedan baraï :

 

 

Vous l’aurez compris, pour tout amateur de science fiction et/ou d’arts martiaux, Equilibrium est un film à voir toutes affaires cessantes. Si le DVD Zone 2 n’est pas prévu avant janvier 2004, le DivX est déjà disponible via Internet. Toutefois, bien sûr, son téléchargement est interdit !

 

Bande-annonce du film : http://www.apple.com/trailers/miramax/equilibrium.html

 

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Arnaud PALISSON



[1] Dans les deux films, le sabre est tenu en garde inversée (le pouce tourné vers le pommeau de l’arme et non vers la pointe).

[2] Un clin d’œil similaire au film de Kurosawa appararaît dans Blade 2, de Guillermo del Toro (2002), lorsque Blade (Wesley Snipes) occit Rheinardt (Ron Perlman).

[3] Le jeu de rôle CyberPunk 2020 permettait aux personnages-joueurs d’acquérir une aptitude similaire, le gun-fu.